Fille

Ne pas déplorer être une ~

Simone de Beauvoir, petite fille, pas encore devenue femme.

« Curieuse d’autrui, je ne rêvais pas d’un sort différent du mien. En particulier, je ne déplorais pas d’être une fille. Evitant, je l’ai dit, de me perdre en vains désirs, j’acceptais allégrement ce qui m’était donné. D’autre part, je ne voyais nulle raison positive de m’estimer mal lotie.

Je n’avais pas de frère : aucune comparaison ne me révéla que certaines licences m’étaient refusées à cause de mon sexe ; je n’imputai qu’à mon âge les contraintes qu’on m’infligeait ; je ressentis vivement mon enfance, jamais ma féminité. Les garçons que je connaissais n’avaient rien de prestigieux. Le plus éveillé, c’était le petit René, exceptionnellement admis à faire ses premières études au cours Désir ; j’obtenais de meilleures notes que lui. Et mon âme n’était pas moins précieuse aux yeux de Dieu que celle des enfants mâles : pourquoi les eussé-je enviés ? »

Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, folio, pages 74-75

être une fille comme il faut

« Mais à une époque et dans une petite ville où l’essentiel de la vie sociale consistait à en apprendre le plus possible sur les gens, où s’exerçait une surveillance constante et naturelle sur la conduite des femmes, on ne pouvait qu’être prise entre le désir de « profiter de sa jeunesse » et l’obsession d’être « montrée du doigt ». Ma mère s’est efforcée de se conformer au jugement le plus favorable porté sur les filles travaillant en usine : « ouvrière mais sérisue », pratiquant la messe et les sacrements, le paint bénit, brodant son trousseau chez les sœurs de l’orphelinat, n’allant jamais au bois seule avec un garçon. Ignorant que ses jupes raccourcies, ses cheveux à la garçonne, ses yeux « hardis », le fait surtout qu’elle travaille avec des hommes, suffisaient à empêcher qu’on la considère comme ce qu’elle aspirant à être, « une jeune fille comme il faut ».

Annie Ernaux, Une femme, folio, page 33

être une fille comme les autres

Landry explique à la petite Fadette, pour son bien, ses "défauts" et comment elle devrait être.

"- Eh bien, Fanchon Fadet, puisque tu parles si raisonnablement, et que, pour la première fois de ta vie, je te vois douce et traitable, je vas te dire pourquoi on ne te respecte pas comme une fille de seize ans devrait pouvoir l'exiger. C'est que tu n'as rien d'une fille et tout d'un garçon, dans ton air et dans tes manières ; c'est que tu ne prends pas soin de ta personne. Pour commencer, tu n'as point l'air propre et soigneux, et tu te fais paraitre laide par ton habillement et ton langage. Tu sais bien que les enfants t'appellent d'un nom encore plus déplaisant que celui de grelet. Ils t'appellent souvent le mâlot. Eh bien, crois-tu que ce soit à propos, à seize ans, de ne point ressembler encore à une fille ? Tu montes sur les arbres comme un vrai chat-écurieux, et quand tu sautes sur une jument, sans bride ni selle, tu la fais galoper comme si le diable était dessus. C'est bon d'être forte et leste ; c'est bon aussi de n'avoir peur de rien, et c'est un avantage de nature pour un homme. Mais pour une femme trop est trop, et tu as l'air de vouloir te faire remarquer. Aussi on te remarque, on te taquine, on crie après toi comme après un loup. Tu as de l'esprit et tu réponds des malices qui font rire ceux à qui elles ne s'adressent point. C'est encore bon d'avoir plus d'esprit que les autres ; mais à force de le montrer, on se fait des ennemis. Tu es curieuse, et quand tu as surpris les secrets des autres, tu les leur jettes à la figure bien durement, aussitôt que tu as à te plaindre d'eux. Cela te fait craindre, et on déteste ceux qu'on craint. On leur rend plus de mal qu'ils n'en font. Enfin, que tu sois sorcière ou non, je veux croire que tu as des connaissances, mais j'espère que tu ne t'es pas donnée aux mauvais esprits ; tu cherches à le paraître pour effrayer ceux qui te fâchent, et c'est toujours un assez vilain renom que tu te donnes là. Voilà tous tes torts, Fanchon Fadet, et c'est à cause de ces torts là que les gens en ont avec toi. Rumine un peu la chose, et tu verras que si tu voulais être un peu plus comme les autres, on te saurait plus de gré de ce que tu as de plus qu'eux dans ton entendement."


George Sand, La petite Fadette, folio classique, Pages 125-126

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