écoulement du temps

~ dans un sablier (mesure du ~)

 

Marina Tsvetaeva, dans sa dernière œuvre en prose « Histoire de Sonetchka » observe telle une entomologiste, Sonetchka, une très jeune actrice du Studio à Moscou dont elle fréquente les acteurs, à l’hiver 1917 ou 1918.

Qui de mieux qu’une poètesse pour définir un sablier.

« Un jour, elle s’amusait sur ma table avec un sablier, un sablier d’enfant – d’une durée de cinq minutes :un petit tube de verre, étranglé à la taille, maintenu par des baguettes de bois – et voilà que par cette « taille » - un mince filet de sable passait pendant cinq minutes.

-Voilà encore cinq petites minutes de passées… (Ensuite, le silence – comme s’il n’y avait plus du tout de Sonetchka dans la pièce, puis, tout à coup, sa voix – tout à fait inattendue) – tout de suite il va y avoir le dernier, le tout dernier petit grain de sable ! Voilà – c’est fini ! »

Marina Tsvetaeva, Histoire de Sonetchka, clémence hiver éditeur, 1991, page 38 (livre acheté à la Librairie de livres anciens Les Amazones, rue Bonaparte, Paris

 

~ dans la journée de travail

 

Le temps prend une autre couleur avec Simon Weil dans ses carnets d’usine.

Philosophe dont tout l’œuvre tend vers la vérité, elle ne conçoit ses réflexions qu’en lien avec une action, une expérience. Agrégée de philosophie et professeur dans un lycée au Puy, elle demande en juin 1934 un congé afin de « préparer une thèse de philosophie concernant le rapport de la technique moderne, base de la grande industrie, avec les aspects essentiels de notre civilisation, c’est-à-dire d’une part notre organisationsociale, d’autre part, notre culture. » Cité dans l’introduction de Robert Chenavier, page 21

Elle embauche à l’usine Alsthom le 4 décembre 1934. Elle veut vivre les circonstances de la vie ouvrière pour les comprendre, les comprendre pour en parler, et en parler pour les transformer. Elle écrira par la suite dans Attente de Dieu, cité dans l’introductio : « Ce qui compte dans une vie humaine, ce ne sont pas les événements qui y dominent le cours des années – ou même des mois – ou même des jours. C’est la manière dont s’enchaine une minute à la suivante, et ce qu’il en coûte à chacun dans son corps, dans son cœur,dans son âme – et par-dessus tout dans l’exercice de sa facutlé d’attention – pour effectuer minute par minute cet enchaînement. »

Revenons au Journal d’usine.

« sixième semaine [du 7 au 12 janv. 1935]

Lundi 7 [janv.]. – 7 h – 9 h ½ : continué les cartons. En ai fait 865 de 7 h à 8 h ¾ (1 h ¾ à 50 C%) ; j’aurais dû en faire 1050. Puis suis allée cisailler les trop gros, ce pourquoi Bret. m’a marqué ½ h (effectivement).

A 9 h ¼ suis allée les découper, jusqu’à 9h ½. Marqué sur le 1er bon 1/2h (donc 1h1/4 pour 680 pièces), soit pour 3,40 F ; donc 2,72 F l’h : coulé.
Marqué sur 2è bon 1h10 ; pour un peup lus de 700 pièces ; NON COULE. Total : 1h10 mn + 1/2h + 1/2h = 2h10mn.

9h1/2 – 10h20 : 1h travail à l’heure (découpé extrémités de longues bandes déjà coupées, pour Bret.)
10h20 – 2 h 40 : planage à la presse (avec chic régleur du fond) des grosses pièces où découpé des languettes vendredi de 1h1/2 ) 3h (une autre les avait cambrées dans l’intervalle). 0,80% ! Fait 516 en 2h50 mn. Marqué 2h1/2. Gagné 4,15 F, soit officiellement 1,65 F de l’heure. Différence avec taux d’affutage pour 2h ½ : 0,37F.

2h45 à 5h1/4 : presse pour ovaliser petites pièces destinées à être soudées. 0,90% Très facile (le chrono est sûrement fou !). En ai fait 1400 ; donc gagné 1400 x 0,90 = 12,60 F. »

Simone Weil, La condition ouvrière, folio essais, Gallimard, présentation et notes par Robert Chenavier, pages 94-95, Journal d’Usine

ne pas mesurer l'~ (un luxe)

 

« Une montre, si simple soit-elle, était déjà un luxe dans nos montagnes où la hauteur du soleil permettait toute l’année de calculer l’heure, d’autant plus qu’il n’y avait jamais de train à prendre, que chacun pouvait à la fermer organiser sa vie ainsi qu’il l’entendait et que, somme toute, la question d’heure était bien secondaire. Mais mon horloge n’était pas une montre ordinaire : au milieu d’une guirlande de roses rouges, un coucou, toutes les heures, ouvrait sa porte et nous criait l’heure avec force et noblesse. »

Karen Blixen, La ferme africaine, France Loisirs, page 44

Encore un rendez-vous, une réunion, un horaire de pause déjeuner à respecter ou faire respecer… L’heure et l’horaire sont des questions centrales dans le travail. Pour les petits bergers kikuyus sur les pelouses de la maison de Karen Blixen , dans les montagnes du Kenya, l’horloge représente la civilisation. La civilisation nous donne l’heure, nous contraint de la suivre, de se plier à son écoulement. Le luxe, ce n’est pas d’avoir une montre, mais c’est que la question de l’heure soit secondaire.

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